1. Façon de travailler:
J’ai d’abord lu tout ce qui existe (en français, anglais, néerlandais) au sujet de la sexualité en islam (non-fiction). J’ai complété cette lecture par celle de la fiction marocaine, critique vis-à-vis de la société (chacun de mes chapitres commence par une citation d’un de ces livres). J’ai ensuite interviewé des chercheurs spécialisés établis à Paris, au Maroc ou à Bruxelles, suivis par deux voyages au Maroc pour recueillir les divers témoignages (plusieurs rencontres qui durent des heures voire des journées chacune). D’autres entretiens ont eu lieu en Espagne, en France et en Belgique.
Le but de ma démarche était de vulgariser certaines analyses qui malheureusement n’arrivent pas souvent auprès du grand public, et d’approfondir de la sorte l’histoire des personnes rencontrées en évitant que celle-ci ne devienne banale ou superficielle.
Premier chapitre: introduction (point par point)
-les problèmes des homosexuels marocains/arabes nous concernent tous (et non seulement la communauté gay)
-Il n’y a pas plus d’homos au Maroc qu’ailleurs (malgré une telle perception en Occident). Il y a tout au plus plus d’actes homosexuels au Maroc, conséquence de la ségrégation des sexes (d’une part on fait l’amour avec celui/celle qui est disponible, d’autre part il est moins dangereux de faire l’amour avec un homme puisqu’on évite la grossesse ou la perte de l’honneur suite à la rupture de l’hymen).
-l’illégalité des actes homosexuels, le manque de libertés sexuelles (l’article 489, mais aussi 490, 491) qui prévoient la peine de prison pour tout acte sexuel en dehors du mariage. Pourtant il y a une grande différence entre la pratique, le dogme et la loi. Ceux qui voudraient lutter pour changer la loi se trouvent seuls dans le désert. Cependant, en huis-clos tous les progressistes sont d’accord.
-L’importance de la communauté (liée aussi à la religion) et la peur d’en être exclu.
2. L’homme et l’enfant, Paris et Salé
L’histoire du jeune romancier Abdellah Taïa, qui dit devoir être à Paris pour être libre. Au Maroc, au sein de la famille, ses arguments ne tiennent plus. Taïa est le premier homosexuel marocain à avoir fait son coming out. La rage de sa famille a été conséquente.
3. Le cadeau du dictateur
L’histoire de l’écrivain Karim Nasseri (participant au débat): une relation avec un père violent qui a sali l’amour hétérosexuel; la liberté découverte en France, pays des droits de l’homme; doute que son ‘outing’ ait une grande influence sur les homosexuels marocains: les réalités françaises et marocaines sont trop différentes, et en quelque sorte il est trop facile de le faire quand on est en France. Karim Nasseri écrit un livre sur ‘homosexualité et islam’.
4. L’arme d’un amour pour la vie (Casa)
L’histoire de Malek (25), qui a parlé de son homosexualité à sa maman très tôt. Elle lui a dit qu’il doit promettre trois choses: de toujours se protéger, de ne rien dire aux proches de la famille et de ne pas faire l’amour avec des gens de ce groupe. ‘Mon amour tu ne pourras jamais le perdre, tu resteras toujours mon fils. L’amour des autres en revanche, ce n’est pas si sûr.’
-Une grande peur des violences vis-à vis- des homosexuels au Maroc.
-Convaincu qu’il se mariera à un homme, au moins dans sa tête. Le certificat de mariage même n’a aucune valeur pour lui, étant enfant d’une mère divorcée.
-bien éduqué, bon travail.
5. Il y a un temps pour tout, maintenant c’est pour l’argent (Essaouira)
Saïd (24), une star et prostitué de luxe qui se vend comme masseur sur internet, fait la navette à Marrakech pour ‘le travail’, se fait bien payer par des hommes européens un peu plus âgés mais riches.
-Ne compte pas faire ça très longtemps encore. Va se marier, aura des enfants, puisqu’une vie sans gosses est la pire des choses, le plus grand échec de la vie.
-Il voudrait bien partir en Occident, mais seulement pour s’installer dans un cadre de luxe, et non pas avec un vieil homme, car ça rendrait sa famille soucieuse.
-Ne s’inquiète guère pour l’épouse malheureuse qu’il n’aimera pas. Les femmes sont faciles à satisfaire et une fois maman elles ne pensent qu’au luxe (voiture, belle maison). Il prendra un copain à côté.
-Vient d’une famille pas très aisée, peu éduquée et sans vrais revenus.
6. Les pères ne perdent jamais complètement (Essaouira)
Nabil, originaire de Marrakech, n’a cherché un boulot à Essaouira que pour échapper à sa famille et au contrôle social. Il a connu l’amour de sa vie avec un homme européen et y croit. Mais sa famille/communauté l’obligera de se marier une fois la trentaine passée. Il voit cela comme une tragédie inévitable.
Parler à ses parents de son homosexualité est impensable, même s’ il les voit comme très modernes et chouettes (les sœurs peuvent sortir en boîte par exemple). La seule voie de secours envisageable est de partir à l’étranger, soit disant pour travailler.
7. Le naufragé et son rocher (Marrakech)
Issu d’une famille très pauvre et peu éduquée, Sami habite dans un appartement de luxe avec son copain français, pas vieux, mais plus âgé et aisé.
Entre eux, c’est le clash des cultures: le français ne comprend pas pourquoi son ami doit faire le ramadan alors que l’islam condamne les homosexuels.
La maman de Sami est déjà venue chez eux et s’est comportée correctement, mais le français n’est pas sûr qu’elle soit sincère.
Un aspect indéniable est celui de la pauvreté abandonnée: maintenant Sami part en vacances à l’étranger. Il vit bien, il a un job et il est jeune. (Mariage après?)
8. Egorger et enlever la peau – la matrone et la pute (Marrakech)
Hassan (23), issu d’une famille extrêmement pauvre, à dû travailler à partir de ses 8 ans chez un artisan du souk. Celui-ci l’a systématiquement violé. Hassan fuit la maison mais y retourne après d’autres mésaventures. Sa mère, autoritaire, ne s’intéresse qu’à l’argent que son fils ramène. Celui-ci commence à faire les trottoirs. “Si on peut être violé sans être payé, vaut mieux se faire payer quand-même.” Hassan est arrêté trois fois (jamais en flagrant délit, seulement au mauvais endroit au mauvais moment) et arrive trois fois en prison où son traitement est terrible.Il devient séropositif et retourne chez lui, en haïssant sa mère.
9. Entre Dieu et le sex payé (Marrakech)
Saâda (21), étudiant de bonne famille, discriminé à l’école depuis tout petit, est extrêmement instable et anxieux. Très bon étudiant, il a cherché du réconfort dans la prière pour échapper à son énorme solitude. ‘Il n’y a que Dieu qui me comprend’. Il écoute les cassettes d’un prêcheur égyptien, un fanatique, et vote pour le parti islamiste. Il pensait qu’il était le seul homo au monde et sait que Dieu n’approuve pas de telles pratiques. Il se trouve face à un dilemme gigantesque: il promet à chaque fois qu’il ne commettra plus jamais ce ‘pêché’, mais c’est plus fort que lui. Dit qu’avec le soutien de Dieu il va ‘guérir’. Mais il commande des putes homo sur internet, après quoi il demande pardon à Dieu dans la mosquée. Saâda est très radical en religion: le danois qui a fait des cartoons de Mohamed devrait être tué instantanément.
10. Ce qui ne me tue pas, me renforce (Rabat)
Tahi (19), jeune bloggeur, très ouvert, très convaincu de ses opinions, a totalement ‘digéré’ son homosexualité personnellement, mais sa mère divorcée est très autoritaire.Elle l’envoie chez des psys et le contrôle totalement. Il ne peut sortir de la maison que pour aller à l’école. Elle a lu ses cahiers et sait tout. Après plusieurs tentatives de suicide il veut partir étudier à l’étranger, il déteste la mentalité et société marocaines et voit Taïa comme son grand exemple. Il a de très bons amis homos et veut devenir écrivain. Il écrit des poèmes.
11. Des castrés viriles et des homos pendus
-On ne peut pas exister au Maroc en tant qu’ homo. L’écrivaine Baaha Trabelsi est totalement ignorée quand elle publie son roman ‘une vie à trois’, qui raconte la vie d’un homme riche et bien éduqué en France, qui rentre au pays pour se marier et faire plaisir aux parents. Puis il dit à sa jeune femme un peu naïve qu’un de ses amis viendra loger chez eux quelque temps.
-Trabelsi n’a pas d’interview à la télé. La radio veut bien l’inviter mais seulement si elle promet de ne jamais prononcer le mot homo.
-Le cinéaste marocain, Abdelkader Laagta, qui vit à Paris, a lui aussi de grands problèmes pour le tournage de son film ‘La porte close’, sur un jeune instituteur qui doit travailler à la campagne, ou le seul autre instituteur est un homo qui finit par se suicider. Puiqsua personne ne veut jouer ce personnage, il a dû faire venir un français. La fédération des enseignants marocains voulait l’interdiction du film puisqu’un instituteur ne peut être un homo. Le film n’est jamais sorti en salle, et a seulement été projeté à des festivals.
Nabil Ayouch a de grandes problèmes avec la censure pour son film ‘Pour une minute de soleil en moins’, avec comme seul personnage ‘humain’ un travesti.
12. Un refugié politique en version améliorée et espagnole
Nanou (traduit en français), un des raflés de Tétouan. Il part finalement en Espagne où il se réinvente.
13.Le royaume des mères. (Bruxelles)
Arezki (35) est venu pour se marier avec un belge. Il est bien éduqué, a un bon travail. C’est le manque de liberté personnelle et sexuelle et le poids de la mère qui lui pèsent, ainsi que le machismo arabe.
14. Un homme est un chien est un homme est une pute. (Bruxelles)
Soufian (32), originaire de Casa, licencié en économie, a été fort maltraité dans son enfance par son grand frère parce qu’il mangeait d’une façon ‘efféminée’. (Pendant deux semaines on l’a emprisonné tout nu dans la salle de bain, on lui posait une assiette par terre pour manger).
S’enfuit en Europe avec le grand amour de sa vie qui rentre au pays. Illégal, il tombe dans la prostitution. Finalement il a la chance de se marier avec une fille qui a pitié. Il restera traumatisé par les cruautés de sa jeunesse.
15. Un enfant unique et même pas le leur (Belgique, Flandres)
Fourad (26) est enfant unique. Papa et maman travaillent toujours, lui est toujours avec ses amis flamands, quand à 17 ans, il tombe amoureux. Il met ses parents au courant, qui eux le mettent à la porte toute de suite. Ils sont fous de rage parce qu’il a osé leur demander de ne pas se laisser faire par ce que pensent les autres. Les services sociaux belges ne veulent pas l’aider: il doit commencer un procès contre ses parents, pour qu’ils paient son éducation, ce qu’il refuse. Il est alors obligé à travailler, malgré ses rêves d’études. Emotionnellement il va très mal, il finit dans un hôpital dans une condition grave. Seulement à ce moment-là les services sociaux se montrent prêts à l’aider.
Il ne voit plus ses parents, jusqu’au moment où son père a une crise cardiaque et demande à la police d’aller le chercher. Il se rend à l’hôpital, la rencontre est très émotionnelle. Ils se revoient depuis, mais jamais ils ne demandent des nouvelles de sa vie personnelle.
16. La mortalité d’un pêcher d’enfance (Bruxelles)
Samia raconte l’histoire de son ami Abdou (37), qui s’est suicidé dernièrement. Ils sont des immigrés de la deuxième génération, et des amis depuis l’école primaire. Samia a toujours su que Abdou était homo et était très opposé à l’idée de son père de faire marier son fils à une fille de village, qui va le ‘guérir’. Dépourvu de résistance morale face à un père autoritaire, Abdou est d’accord et pense que son père sait ce qui sera bien pour lui.
Il se marie et devient père de deux enfants mais rien ne change, il commence à mener une vie en cachette. A un certain moment il n’en peut plus et déménage au grenier, puis veut un divorce. Le père dit qu’il doit attendre le moment que les enfants sont adultes.
Un soir il se suicide dans la baignoire. Sa mère n’en comprend rien. Pourquoi tu n’as rien dit, mon fils, se demande-t-elle.
17. Le luxe d’un silence tolérant (Casa)
Ali vient d’une famille très aisée, éduquée en français, qui voyage à l’étranger. Ses parents sont plutôt laïcs. Ali travaille comme journaliste et vit seul (avec des intermezzos de retour chez maman quand il n’a plus d’argent). Il trouve que tout se passe bien. Maman ne sait pas vraiment qu’il est homo mais ne demande rien et ne le force pas à se marier. Ses sœurs et frères sont au courant et acceptent leur frère. Pour lui, parler à maman n’est pas important.
Il ne voit pas de grandes différence entre sa vie et celle des homos en Occident, mais se rend compte qu’il a de la chance: il est économiquement indépendent. Le mieux, dit-il, c’est le fait que de plus en plus de femmes doivent travailler. Ainsi elles n’ont plus le temps d’ espionner les autres, le contrôle social s’affaiblit et ainsi tout évolue dans le bon sens.